Notre système éducatif, voire l'idée même d'éducation, est ancré dans des décennies, voire des siècles, de traditions et d'expériences. La crise sanitaire récente a introduit une grande part de digitalisation dans l’enseignement - dans l’urgence et par obligation. Toutefois, ce contexte si particulier n’a pas engendré de changements radicaux.
L'intelligence artificielle (IA) générative a remis au centre du débat les risques et opportunités pour le secteur de l’éducation et pose la question de sa capacité à s’adapter. Les marchés financiers semblent prendre parti pour les risques liés à l'IA en sanctionnant fortement le secteur de l'éducation, à commencer par Chegg dont le cours a été divisé par deux depuis que le management a indiqué que la baisse de la croissance de ses nouveaux utilisateurs était liée à ChatGPT. Si on peut s’inquiéter de la pertinence de certains modèles d’affaires à l’heure des Large Language Models (LLM), certaines sociétés en ressortiront probablement renforcées.
UN « SUPER-TUTEUR » POUR CHAQUE ÉLÈVE
S'il est encore tôt pour mesurer l'ensemble des conséquences de cette technologie, nous pouvons reconnaître qu'elle permettra l'accélération de certaines innovations pédagogiques. Notamment l’adaptive learning ou apprentissage adaptatif en français, un concept qui repose sur la personnalisation de la formation.
En effet, l'IA peut enfin résoudre le problème « 2 sigma » de Bloom. En 1984, Benjamin Bloom a fait la découverte d’une méthode permettant d'améliorer considérablement l'efficacité de l'enseignement, en obtenant des résultats améliorés par un facteur de deux écarts types (deux sigma). Ainsi, un élève "moyen" d'une classe donnée pourrait désormais obtenir de meilleurs résultats que 49 élèves sur 50 dans une classe traditionnelle. Son secret ? Le tutorat individuel. Le problème ? L’échelle nécessaire. Ainsi, en proposant des outils conversationnels personnalisés, des devoirs, des évaluations et des conseils sur-mesure, l'IA permet virtuellement à chaque élève d'avoir son super-tuteur personnel.
L'IA offrirait ainsi ce « super-tuteur » à chaque élève, mais aussi un super-assistant à chaque enseignant. Or, actuellement le déficit du nombre d’enseignants aux États-Unis est majeur. Les outils pouvant leur permettre de faciliter leur mission ou d’améliorer leur productivité peuvent apporter des solutions salutaires.
Une université nous donne déjà un bel exemple d’utilisation de l’intelligence artificielle pour améliorer le succès des étudiants. La Georgia State University (GSU) a mis en place un système d'analyse prédictive alimenté par l'IA depuis 2012. Ce système analyse des données provenant de diverses sources, telles que les relevés de notes, les dossiers d'aide financière et les activités extrascolaires sur le campus, afin d'identifier les étudiants à risque d'abandonner leurs études ou de prendre du retard sur le plan académique. Il fournit ensuite des alertes précoces aux conseillers académiques, qui prennent ensuite contact avec ces étudiants et leur fournissent un soutien personnalisé. Depuis la mise en œuvre du système, le taux d'obtention de diplômes de l'université a augmenté de 22 points de pourcentage. L'écart de réussite entre les étudiants issus de minorités sous-représentées et leurs pairs a été éliminé. Le système a également permis à la GSU d'économiser 10 millions de dollars en bourses et subventions qui auraient été perdues en raison des abandons, évitant ainsi aux étudiants de s'endetter inutilement.
L’IA a donc un rôle social à jouer à la fois en aplanissant l’accès à l’information pour tous les élèves, et en enlevant des biais humains existants dans l’identification des besoins des étudiants.
LA QUALITÉ ET FIABILITÉ DES CONTENUS SONT CLÉ
L’usage de l’IA dans l’éducation va bien plus loin que la seule résolution de questions ou problèmes de court terme. Si certaines sociétés cotées en Bourse ont été largement sanctionnées, c’est aussi parce que leur proposition de valeur repose entièrement sur cette aide au devoir ponctuelle et ne transforme pas la manière d’apprendre, ni d’enseigner, mais prend plutôt des raccourcis avec l’apprentissage.
Toutefois, il ne s’agit pas de désigner les disrupteurs et les disruptés. Le résultat sera probablement plus nuancé. Les acteurs historiques peuvent faire preuve d’innovation. Ils ont souvent davantage de ressources. Ils disposent de la base de données, du contenu, des relations avec les clients qui rendent l'innovation pertinente, utile et précise. Il y a aussi de nombreuses opportunités pour de la collaboration et des partenariats entre différents acteurs – ceux fournissant le contenu et ceux offrant les modèles d’IA. Les succès futurs ne dépendront pas de l’un ou l’autre mais bien de la combinaison des deux.
L’enjeu réside davantage dans ce que les entreprises, qu'il s'agisse d'opérateurs historiques ou de nouveaux entrants, pourront construire à partir de ces modèles d’IA. Ce qui distinguera les gagnants des perdants sera la manière dont la technologie sera utilisée pour améliorer la proposition de valeur des produits et services aux utilisateurs.
Ce sur quoi l'IA est formée est essentiel : avec des données et du contenu suffisamment différenciant ou exclusif par rapport à ceux disponibles sur l'internet ouvert, la proposition de valeur n'en sera que renforcée. Un modèle tel que celui d’OpenAI, s’entraînant sur les données open source, n’a finalement que peu de barrières à l’entrée. En effet, la qualité des données entrées détermine la qualité des résultats. Par conséquent, l'accès à de la donnée de qualité, précise et exacte est décisif. Ceux qui possèdent la meilleure donnée auront les meilleurs modèles. Ceux qui ont la possession des sources reconnues seront les mieux positionnés, d’où l’intérêt d’accorder du crédit aux acteurs institutionnels, qui sont des sources connues et reconnues. Ce qui viendra aussi dans le même temps donner davantage de valeur à ce contenu.
Par conséquent, en mettant au service de l’apprentissage de nouvelles méthodes, les acteurs qui ont à cœur de conserver une excellence académique auront tout à gagner en se saisissant de ces nouveaux outils.
Si on ne s’attend pas à une disruption majeure à court terme, ces intelligences artificielles sont des technologies facilitatrices. Elles seront distillées dans de nombreux cas d’usage, y compris dans l’éducation. Toute leur puissance se révèlera dans la capacité à les entraîner sur des informations propriétaires, exactes, actualisées. C’est donc la qualité et la fiabilité des contenus qui seront le juge de paix entre les acteurs qui bénéficieront de l’IA et ceux qui peuvent en souffrir.
Rédigé par Elise de Coligny, analyste, et Aymeric Gastaldi, gérant du fonds Edmond de Rothschild Fund Human Capital chez Edmond de Rothschild Asset Management.
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