Conditionner la rémunération variable des dirigeants à l’impact environnemental et social de leur entreprise : l’idée fait son chemin depuis quelques années déjà et s’impose peu à peu comme un prérequis largement encouragé par les parties prenantes.
La performance financière ne peut plus être considérée comme le seul critère de compétitivité d’une société, au détriment de la performance extra-financière. Cette prise de conscience conduit à une lente érosion de la théorie de la maximisation du profit économique pour laisser la place à la prise en compte de l’ensemble des parties prenantes. Dans ce contexte, une véritable lame de fond est à l’œuvre sur le plan de la gouvernance des entreprises.
Afin d’écarter tout risque de greenwashing, les actionnaires réclament une transparence accrue en matière de rémunération, pour une bonne compréhension des éléments de la rétribution variable court-terme et plans long-terme. Ils plaident pour la fixation d’objectifs extra-financiers (Environnement, Social, Gouvernance) précis sur ces horizons de temps. Les progrès doivent pouvoir être mesurés lors d’étapes intermédiaires, pour s’assurer que la stratégie mise en œuvre suit la bonne trajectoire tout autant que pour éviter de laisser la future génération de dirigeants relever seule les défis non atteints au cours des années précédentes. Ils doivent être quantitatifs tout autant que qualitatifs et scrupuleusement vérifiés, passés par exemple au crible de l’initiative SBT1.
Ces objectifs peuvent comprendre la réduction des émissions de CO2 (scopes 1,2 et 32) de l’entreprise, la féminisation des instances dirigeantes (Comex ou Top 100 des managers) ou encore la progression de la part de produits « verts » dans les revenus. Certains acteurs se démarquent particulièrement selon nous, sur le plan de la communication de leurs intentions claires et tangibles, et des résultats obtenus, à l’image de L’Oréal ou encore Schneider Electric. Cela dit, de trop nombreuses entreprises encore utilisent les critères de performance de façon vague pour « compenser » des critères financiers non atteints.
Ces sujets sont d’ailleurs actuellement examinés par la Commission européenne. Pour s’assurer que cette notion de durabilité soit réellement prise en compte, elle pourrait introduire un « duty of care3 » qui exigerait des administrateurs de considérer les impacts sociaux, environnementaux et de droits humains dans la stratégie de l’entreprise. La proposition cite d’ailleurs la rémunération comme levier d’action.
La France déjà un très bon élève en termes de gouvernance responsable
Selon le baromètre IFA – Ethics & Boards des conseils d’administration du SBF 120 paru en octobre 2021, des signes de matérialité d’une gouvernance responsable et durable apparaissent en France. Les recommandations du code de gouvernement d’entreprise des sociétés cotées AFEP-MEDEF constituent un socle de principes sur lequel les entreprises peuvent s’appuyer pour mettre en œuvre ces changements.
Trois nouvelles sociétés du SBF 120 ont inscrit la raison d’être dans leurs statuts en Assemblée Générale en 2021, portant le nombre total de sociétés à 14. La raison d'être d'une entreprise, axe structurant et équivalent des termes « purpose » ou « mission statement » communément utilisés dans les pays anglo-saxons, désigne la façon dont elle entend jouer un rôle dans la société au-delà de sa seule activité économique. Cette notion a été introduite dans la loi Pacte du 22 mai 2019.
Par ailleurs, environ 2/3 des conseils d’administration du SBF 120 dispose d’un comité RSE. La comparaison internationale s’avère particulièrement favorable pour l’Hexagone, avec une progression des comités RSE beaucoup plus marquée en France qu’ailleurs depuis 2017.
Notons que le code de gouvernance Middlenext, révisé en septembre 2021, formule trois nouvelles recommandations dont la création d’un comité RSE, ainsi que l’équité et le respect de l’équilibre femmes/hommes à chaque niveau hiérarchique de l’entreprise.
Les structures de gouvernance duales, dissociant les fonctions de Président et Directeur Général, majoritaires en France depuis quelques années et permettant un contrôle accru exercé sur la mise en place de la stratégie financière et extra-financière, sont suivies par 2/3 des conseils. Les conseils sont plus féminisés mais également plus équilibrés en termes de diversité d’âge et plus ouverts aux profils internationaux que les conseils des autres pays comparables. Le palmarès 2021 de la féminisation des instances dirigeantes du SBF 120 confirme l’impact de la loi Copé Zimmermann de 2011 sur la féminisation des conseils qui a atteint 45,7% à l’issue des Assemblées Générales de 2021, contre 31% pour le DAX allemand, avec de plus en plus de femmes Présidentes du conseil (10 en 2021 contre 3 en 2015). Au sein du SBF 120, 12 femmes sont à la tête de l’exécutif. C’est notamment le cas chez Amundi, La Française des Jeux, ou encore Engie.
Plusieurs leviers d’action
Les actionnaires disposent de plusieurs leviers d’action pour infléchir la stratégie extra-financière d’une entreprise, à commencer par le vote aux Assemblées Générales. De cette manière, ils peuvent sanctionner la politique de rémunération ou la stratégie climat de la société au travers des résolutions « Say on Pay » et « Say on Climate ».
L’évaluation extra-financière réalisée par les agences de notation telles que Sustainalytics et Ethifinance ou par les équipes ISR internes des sociétés de gestion permet d’envoyer des signaux clairs aux investisseurs mais également aux entreprises, pouvant conduire à une exclusion ou un désinvestissement de certaines sociétés dans les fonds ISR.
Enfin, la politique de dialogue et d’engagement mise en œuvre par les actionnaires vise à conduire l’entreprise à repenser sa stratégie et à en modifier la trajectoire si nécessaire. Ainsi, les contacts réguliers avec le management ou le dépôt de résolutions peuvent permettre de proposer des évolutions au sein d’un des piliers E, S ou G et de suivre les progrès éventuels de la société sur ces sujets.
La rémunération des dirigeants se doit de refléter la fixation d’objectifs lisibles et crédibles. Les actionnaires jouent indéniablement un rôle clé dans ce changement de paradigme.
1 Lancée en juin 2015, l’initiative Science Based Targets (SBTi) est un projet conjoint du Carbon Disclosure Project (CDP), du Global Compact des Nations Unies, du World Ressource Institute (WRI) et du World Wildlife Fund (WWF). L’initiative vise à encourager les entreprises à définir des objectifs de réduction (aussi appelés cibles de réduction) des émissions de gaz à effet de serre (GES) en cohérence avec les préconisations scientifiques.
2 Scope 1 : les émissions directes de gaz à effet de serre provenant de la production du produit de l’entreprise. Scope 2 : les émissions indirectes de gaz à effet de serre provenant de l’utilisation de l’électricité par l’entreprise, le chauffage des bâtiments, etc. Scope 3 : les émissions de gaz à effet de serre provenant du transport et de l’utilisation du produit ; la combustion de l’essence dans les voitures, par exemple.
3 Devoir de diligence.
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