Quand le Baron Edmond de Rothschild apprend en 1973 que le Château Clarke est à vendre, il se met à rêver. Pourtant, ce domaine vinicole est délaissé. Parallèlement, à quelques kilomètres de là, le Château Margaux et son Premier Grand Cru Classé se trouvent également sur le marché. Alors, pourquoi choisir le premier ? Par goût du défi ? Peut-être. Par passion ? Sans doute. Mais surtout parce qu’il pressent tout le potentiel et la richesse de ce terroir. Sa vision et son audace lui donneront raison puisque cinquante ans plus tard, le Château Clarke est devenu une icône de la région et l’un des joyaux de l’appellation Listrac-Médoc.
Investir Dans La Terre Et Son Histoire
Visionnaire, bâtisseur et passionné de vin comme l’ensemble de la famille déjà propriétaire de grands crus, Edmond de Rothschild avait un rêve secret : celui de travailler un vignoble encore méconnu et de le porter à son plus haut degré d’excellence. En 1973, avec l’acquisition du Château Clarke et du domaine contigu, Château Malmaison, cette ambition se transforme en aventure entrepreneuriale. Le choix reste toutefois audacieux. En effet, le vignoble est délaissé et son vin très ordinaire. Pourtant, cette terre possède un atout de taille : la qualité et typicité de son sol, capables de faire mûrir les grands cépages bordelais.
Une Décision Forte Au Service D’une Vision
Tout est donc réuni pour que l’histoire commence. Mais avant de passer à l’action, place à l’analyse. Avec l’appui d’Emile Peynaud, célèbre œnologue qui révolutionna les techniques de vinification dans la seconde moitié du XXᵉ siècle, Edmond de Rothschild comprend rapidement que pour transformer ce vin ordinaire en cru d’exception, il faut que les cépages et les sols s’accordent. Et sur les 55 hectares de vignes que le domaine compte aujourd’hui, ce sont les croupes argilo-calcaires où s’épanouissent les Merlots qui occupent la plus grande surface. Le reste est formé de sols plus favorables aux Cabernets Sauvignons. Après plusieurs années de recherche et d’essais, d’assemblages et d’expérimentations, le Baron prend la décision d’agrandir la part de Merlot pour sublimer le terroir et le vin. Un pari visionnaire qui le pousse à investir sans relâche dans ce terroir, décrié à l’époque, mais qui se révèle aujourd’hui – avec les changements climatiques – particulièrement propice à la culture de grandes vignes. Plus audacieux encore, il va dès les premières productions à l’encontre des grands châteaux qui prônent les vins de garde pour créer des vins « nature », à déguster après quelques années d’élevage seulement.
Une Audace Payante
De 1973 à 1978, tout le parcellaire est ainsi arraché, redessiné, reprofilé, drainé, replanté. L’encépagement des vignes évolue afin de le mettre en parfaite adéquation avec les différents sols de la propriété. Finalement, après une période d’apprentissage pour mieux comprendre le vignoble, le domaine accueille 70 % de Merlot et 30 % de Cabernet Sauvignon. C’était ambitieux, sachant qu’un vignoble n’atteint sa véritable maturité qu’après une trentaine d’années. Mais rien n’a été laissé au hasard dans cette entreprise.
Pour accompagner à long terme la métamorphose de son vignoble, Edmond de Rothschild lance en parallèle plusieurs actions fortes : il modernise les chais, rénove les bâtiments, construit de nouvelles installations, aménage les jardins. Il fait également l’acquisition d’un domaine voisin en appellation Haut-Médoc, Peyre-Lebade, aujourd’hui rebaptisé Château Odilon en hommage au peintre Odilon Redon qui vécut sur la propriété. Edmond de Rothschild met également en place son propre système de distribution de vins. Une singularité supplémentaire de la famille qui garde l’entière responsabilité de la commercialisation de ses crus, contrairement aux autres Châteaux qui passent tous par des négociants de la place de Bordeaux.
L’art De Vivre En Héritage
Aujourd’hui, à l’heure de célébrer les cinquante ans de l’acquisition de la propriété, la réussite est au rendez-vous puisque le Château Clarke s’invite sur les tables du monde entier, dans près de 80 pays. Avec ses 150 000 bouteilles en moyenne par année et ses 15 000 bouteilles de Merle Blanc – un vin rare, très aromatique et indissociable de son patrimoine –, le Château Clarke est même devenu au fil du temps l’un des fleurons du Médoc. Sa production d’exception vient également s’ajouter à celle des huit autres domaines de la famille pour porter son nombre à 4'200 000 bouteilles en 2022, soit dix fois plus qu’en 1981.
L’aventure que constitue la reprise en main du Château Clarke est un projet qui incarne parfaitement la mission et les valeurs de la banque Edmond de Rothschild, mais également celle de la structure qui rassemble les activités d’art de vivre du Groupe, Edmond de Rothschild Heritage. Visant à valoriser, préserver et faire croître le patrimoine historique de la famille, cette entité fonctionne en effet comme un laboratoire entrepreneurial. Un lieu où les activités non financières de la famille Rothschild dans le vin, l’agriculture, l’hôtellerie et la gastronomie représentent autant d’exemples et d’histoires inspirantes.