La surperformance des marchés américains s’est poursuivie sur le dernier trimestre 2024. Le S&P 500 a progressé de 5.8% depuis le 1er Novembre dernier et se rapproche des 60 plus hauts historiques en une année, ce qui n’est arrivé que 4 fois depuis 1928. Dans le même temps, le Stoxx Europe 600 a lui seulement apporté 1.4% en euros et a été négatif en dollars. Les investisseurs ont continué à soutenir cette tendance en faveur des actions américaines qui gardent une capacité de croissance bénéficiaire supérieure à celle des autres zones géographiques.
En revanche, si l’on observe ces mêmes indices depuis le lendemain de l’élection de Donald Trump, les marchés européens se sont bien repris avec une performance quasi similaire. Ceci est d’autant plus remarquable lorsque l’on regarde les espoirs de productivité et d’efficience que suscite le duo Trump/Musk sur les marchés américains et les difficultés politiques en France notamment. Cependant, cette performance est à mettre au crédit quasi unique de l’Allemagne et de son indice DAX qui a rebondi de près de 6% depuis le 27 novembre dernier avec 90% des titres composants l’indice affichant des performances positives, les investisseurs anticipant déjà « l’après Scholz » et notamment la fin de l’orthodoxie budgétaire actuelle.
La performance des actions européennes semble malgré tout un épiphénomène au milieu de l’engouement en faveur des actions américaines, qui s’est accentué en 2024. Au-delà des fondamentaux solides, comment peut-on expliquer une telle hausse des valorisations sur les marchés américains ?
Selon la théorie de l'évolution des prix, l’augmentation du prix d’un actif nécessite une plus grande demande que l'offre, c'est-à-dire plus d'acheteurs que de vendeurs. À ce titre, les flux de capitaux vers les fonds en actions américaines ont représenté plus de 140 milliards depuis l’élection américaine ce qui porte le total à plus de 450 milliards en 2024. Certaines sources évoquent plus de 1'000 milliards d’afflux de fonds sur les ETF en actions américaines par rapport aux 600 milliards de 2022 et 2023, avec un record absolu sur le mois de novembre. Ces chiffres révèlent tous la même tendance : la plupart des flux en actions sont destinés aux États-Unis, qui semblent bénéficier d‘un effet TINA (« There Is No Alternative »).
Les investisseurs font-ils preuve d’un excès de naïveté ou d’optimisme quant à la réelle capacité du président Donald Trump, assisté d’Elon Musk, à déréguler l’économie, réduire les taxes, et apporter à l’ensemble des États-Unis, l’efficience et le succès que ce dernier a réussi à atteindre avec Tesla ou SpaceX ?
Derrière ces flux de fonds impressionnants se cachent certaines explications liées à la composition des indices mondiaux, aux biais induits par la gestion passive et aux nouveaux modes de diffusion des informations boursières.
L’attrait des investisseurs pour les actions américaines a notamment été renforcé au cours des nombreuses années de faibles taux d’intérêts durant lesquelles les investisseurs en quête de rendement ont privilégié ces actifs qui bénéficiaient d’un enthousiasme de masse, lié entre autres au dynamisme du secteur technologique. Les gérants de fonds actifs ont graduellement renforcé leurs positions en actions américaines afin de ne pas trop s’écarter des indices mondiaux. Même les hedge funds ont succombé à cet engouement, à l’image de la période post crise de 2008 lorsque les marchés actions progressaient de 15% par an et que même les fonds long-short ont rapidement adopté une stratégie « long only » afin de ne pas se retrouver distancés. Quant aux fonds ayant fait le pari d’une convergence de l’évolution de la valorisation des actions européennes vers leurs homologues américaines, leurs performances se sont finalement avérées décevantes. Ceci a pu conduire les investisseurs déçus vers des solutions passives de telle sorte que les fonds passifs représentent actuellement plus de la moitié de la gestion de fortune mondiale.
Or, ce basculement vers la gestion passive a de facto renforcé les flux vers les actions américaines. En effet, avec des actions américaines représentant maintenant près de 74% des indices MSCI World, pour chaque dollar investi passivement, les trois quarts sont investis en actions américaines et en particulier dans les « blue chips » qui ont un poids important dans les indices phares.
Finalement, les nouveaux modes d’accès aux informations financières renforcent subtilement le biais vers le momentum, en l’occurrence les actions américaines. Certains traders au début des années 2000 résumaient le secteur à cette phrase : la Finance n’est qu’un flux d’information ! Parmi ce flot ininterrompu d’informations financières, il reste à déceler celles qui possèdent une véritable valeur prédictive ou explicative afin de prendre de bonnes décisions d’investissement et de capturer les tendances de marchés.
L’amélioration de l’efficience des marchés, défini par un accès à l’information simultané par tous les acteurs du marché, a paradoxalement renforcé les effets de « mode » lorsqu’une conviction d’investissement, même irrationnelle est partagée à grande échelle et de manière instantanée à de nombreux acteurs. En attestent les impacts que nous avons pu observer en 2021 sur les « memes stocks », ces titres oubliés comme Nokia ou Blackberry faisant tout à coup l’objet de dizaines de milliers d’ordres d’achat simultanés. À cette date, le flux ne recelait aucune justification fondamentale et la hausse du cours de bourse n’était que la résultante de décisions collectives irrationnelles. Aujourd’hui, ce mimétisme s’empare des grandes sociétés de la cote à l’image de Broadcom, déjà recommandée à l’achat par 90% des analystes avec une capitalisation de $800 milliards. Le titre dont le consensus estime être le prochain Nvidia a publié de bonnes perspectives et bénéficié d’achats simultanés en masse lui permettant de bondir de 25% en une seule séance.
Finalement, la performance des marchés financiers reste de manière plus rationnelle le reflet du dynamisme de son économie. Force est de constater que le PIB par habitant en Europe stagne depuis 2010 et que la productivité américaine a cru de près de 40% sur les vingt dernières années alors qu’elle n’a monté que de 13% en Europe sur la même période. La réalité est que le « retour à la moyenne » pour les marchés financiers européens pourrait ne pas exister à long terme. Nous avons certes observé quelques périodes de surperformance, en raison notamment de la forte volatilité du marché américain et d’événements spécifiques favorisant des secteurs mieux représentés au sein des indices européens, mais à long terme, la surperformance des marchés américains demeure significative.
Ainsi, les décisions consensuelles sont parfois fondamentalement justifiées et lorsqu'elles le sont, comme nous le pensons pour les grandes capitalisations américaines, il est généralement préférable de ne pas nager à contre-courant.
Certes, cette situation aggrave les écarts de valorisation entre les grandes et les petites capitalisations qui se retrouvent à des niveaux impressionnants non observés depuis la bulle technologique de 2000. Elle renforce les titres de croissance au détriment de la « value » qui attend désespérément son heure et consolide le fossé entre les titres « chers » et ceux « bons marchés », rendant certaines valeurs, délaissées par la frénésie actuelle, de plus en plus attractives mais à une condition : leur trouver un catalyseur.
Il est donc très probable que le premier trimestre 2025 continue d’être favorable aux marchés actions américains et toujours aux grandes capitalisations vu le flux ininterrompu sur ces titres. Cependant, le deuxième semestre pourrait être celui du retour à la réalité et aux fondamentaux après l’épreuve de vérité de la nouvelle administration américaine. Le « rêve MAGA » pourrait se heurter à la réalité, alors que les oubliés de TINA, l’Europe et la Chine pourraient voir un sursaut des mesures favorables promulguées par leurs gouvernements en 2025.
Nicolas Bickel | Group Head of Investment Private Banking