Perspectives économiques
15/11/2024

Ces dernières semaines, les investisseurs avaient les yeux rivés sur les élections américaines et les marchés se sont mis en pause durant tout le mois d’octobre, avec 23 jours sans variations de plus de 1%, du jamais vu depuis trois ans. Une fois de plus, les sondages ont sous-estimé la probabilité du retour de Donald Trump au pouvoir, ce qui n’est pas le cas des marchés financiers qui ont bien anticipé ce résultat. 

Certains secteurs sensibles au programme économique de Donald Trump ont grimpé entre octobre et la veille de l’élection, tels que les banques (+7.4%), la technologique (+3.7%) et la consommation discrétionnaire (+4%). À l’inverse, d’autres secteurs favorisés par une élection de Kamala Harris avaient déjà été mis sous pression, à l’image des énergies renouvelables, l’ETF iShares Global Clean Energy ayant abandonné près de -11% en octobre. Un rallye des secteurs soutenus par le programme du républicain s’est tout de suite mis en place dès le lendemain de l’élection et les petites et moyennes entreprises ont posté leur plus forte progression hebdomadaire depuis 24 ans, avec une hausse de 8.6% du Russell 2000, anticipant un impact important de la baisse de l’imposition. 

Cependant, après quelques mois d’euphorie sectorielle, la réalité économique risque de reprendre le pas sur la direction des marchés financiers. À long terme, l’histoire nous enseigne que les slogans politiques des deux camps ont ceci en commun qu’ils n’ont que peu d’impact sur la performance des classes d’actifs. Aucun président américain n’ayant en effet connu de baisse de l’indice phare depuis 1945, à l’exception de George W. Bush (lequel a essuyé à la fois la crise des dot com de 2000 et la crise financière de 2008). 

Le marché américain reste bien positionné pour poursuivre sa domination sur les marchés européens, entamée depuis la sortie de la crise financière. Et ceci malgré les cinquante plus haut historiques atteints depuis le début de l’année sur l’indice S&P500, des valorisations élevées et une part de détention d’actions au plus haut chez les ménages américains depuis la bulle technologique de 2000. Trump devrait en effet renforcer ce qu’on appelle communément « l’exceptionnalisme américain » : une fiscalité basse, un laisser faire pour les entreprises, des citoyens avides de consommation peu épargnants, et un gouvernement soucieux de la croissance. 

Aucun secteur d’activité des marchés européens n’a d’ailleurs réussi à surperformer ses pairs américains depuis 2010. Ceci souligne la capacité d’innovation, de génération de bénéfices et de croissance des marges des entreprises américaines, soutenus par une politique expansionniste qui ne mesure pas la dépense et réglemente moins. Une autre réalité subsiste également : le consommateur américain continue de consommer et garde une plus grande confiance dans l’économie, malgré un taux hypothécaire à 30 ans qui atteint 7% et des taux de débit sur les cartes de crédit à 17%.  De son côté, son cousin européen épargne plus, par peur de l’avenir, et doute de sa capacité à maintenir son pouvoir d’achat.

Rien se semble donc indiquer à ce stade un retournement de cette tendance en faveur des actions américaines pour les prochaines années, notamment sous une présidence républicaine qui détient maintenant les pleins pouvoir avec la majorité aux deux chambres, à savoir le Sénat et la Chambre des représentants, lui permettant d’appliquer les politiques économiques promises.

Les marchés européens ont quant à eux du mal à trouver un second souffle. La faible croissance, malgré un léger rebond de l’activité manufacturière en septembre, laisse entrevoir une accélération de la baisse des taux afin de relancer l’économie. Au-delà des vents contraires économiques en Europe (exposition à la demande chinoise en berne, polarisation sur l’industrie classique, réduction des dépenses gouvernementales), le risque politique reste élevé, en France toujours avec le sujet difficile du budget 2025, mais aussi en Allemagne, où le gouvernement devrait convoquer des élections partielles dont l’issue est incertaine.   

Les attentes des marchés d’une progression de 15% des bénéfices des entreprises américaines en 2025 restent quant à elles très élevées. Cependant, la publication des résultats du troisième trimestre imprime une tendance forte qui rend cet objectif tout à fait réalisable. Avec plus de 90% des entreprises qui ont publié leurs résultats, ces dernières ont dépassé de 6.5% les attentes de bénéfices contre 4.8% en moyenne depuis 2019 résultant en une croissance de 7% contre 4% attendu en début de saison. 68% des entreprises ont positivement surpris par rapport aux attentes de bénéfices contre 59% historiquement. En Europe, 70% des sociétés ont publié à ce stade, avec des bénéfices 4.8% supérieurs aux attentes, résultant en une croissance nulle par rapport à l’année passée, certes meilleure que les -1% attendu en début de saison mais reflétant une faiblesse continue en relatif aux sociétés américaines.  De plus, l’adoption probable de mesures fiscales favorables outre Atlantique dope les prévisions, notamment l’extension du Tax Cuts & Jobs Act, qui pourrait à lui seul injecter près de 5'000 milliards de dollars dans l’économie américaine d’ici 2035, soit pratiquement 2% de PIB en plus chaque année ! 

Du côté des taux d’intérêts, la pentification de la courbe s’est accentuée avec en ligne de mire les importantes dépenses budgétaires supplémentaires du programme de Donald Trump. Le rendement du trésor américain à 10 ans a frôlé les 4.5% au lendemain de l’élection, dans un contexte où les intérêts de la dette dépassent 3.5% du PIB, soit le double des pays européens les plus endettés. Cela dit, l’appétit des marchés pour la dette américaine ne faiblit pas, à l’image du trésor américain qui a réussi à émettre au lendemain de l’élection 25 milliards de dette à 30 ans à 4.60%, soit 3bps au-dessous du niveau du marché.

La dichotomie récente entre les attentes de baisses de taux aux États-Unis et en Europe se justifie par des trajectoires de croissance et d’inflation qui s’écartent. Cela devrait pousser la Réserve fédérale (Fed) à ralentir son cycle d’assouplissement avec trois voire quatre nouvelles baisses de taux d’ici fin 2025 et à la Banque centrale Européenne de maintenir des prévisions de plus de cinq à six baisses de taux. Cette diminution des attentes de baisse de taux aux États-Unis ne signifie pas pour autant une perte de dynamisme pour le marché américain à court terme dans un scénario de soft landing. En effet, en 1995 après une performance de 23% des marchés des actions, la Fed n’avait baissé que de 75bps et le marché avait l’année d’après affiché à nouveau 23% de performance, certes avec des valorisations deux fois plus faibles qu’à l’heure actuelle.

De son côté, la Chine a profité du résultat des élections et de la perspective de négociations difficiles avec les États-Unis pour rajouter 1'400 milliards de de soutien à ses collectivités locales. Cela dit, les conflits commerciaux et la guerre des droits de douane peuvent également remodeler les performances sectorielles. En témoigne le souvenir de la période 2018-2019, où en pleine période de guerre commerciale et de hausse des taxes à l’importation, les services aux collectivités, les télécoms, l’immobilier, la consommation et la santé avaient bien performé aux États-Unis au détriment des semi-conducteurs, de l’équipement technologique et de l’automobile, ainsi que des actions chinoises dans leur ensemble.

Une fin d’année intéressante se profile donc sur les marchés financiers, dans une période statistiquement très porteuse pour les actions avant l’investiture de Donald Trump le 20 janvier 2025. Nous maintenons notre surpondération aux actions américaines.